Anonymiser les arrêts automatiquement
Le travail d’anonymisation des décisions judiciaires peut s’avérer laborieux et pas toujours sans erreur. Il ne compte pas non plus au nombre des activités favorites des greffières ou collaborateurs de chancellerie. Le recours à l’intelligence artificielle pour anonymiser les arrêts n’en est pourtant qu’à ses premiers pas. C’est du moins ainsi que voit les choses Andrea Schmidheiny Konic, active pendant quatorze ans dans la justice et orfèvre de la pratique d’anonymisation établie au Tribunal cantonal de Zurich. Son entreprise Balo.ai Sàrl propose depuis deux ans un système d’anonymisation basé sur l’IA, utilisé depuis fin 2021 par les tribunaux et l’administration du canton d’Argovie. Andrea Schmidheiny Konic en est convaincue : « Tant que les décisions ne sont pas écrites par des machines, il est illusoire de penser qu’une anonymisation totalement automatique est possible. » Pour anonymiser correctement, il faut être deux : la machine pour l’identification et le marquage, l’être humain pour l’évaluation et le contrôle. Sa propre expérience lui permet toutefois d’affirmer qu’une tâche a priori rébarbative peut devenir plaisante en lui associant l’intelligence artificielle. À condition bien sûr de travailler avec une interface utilisateur intuitive et facile à exploiter.
Plus simple et plus rapide
Le Tribunal fédéral et le Tribunal administratif zougois font partie des rares institutions judiciaires en Suisse qui anonymisent leurs arrêts à l’aide de l’IA. Le Tribunal fédéral a introduit en 2013 déjà une application dotée d’un algorithme standard et recourt depuis octobre 2021 à une application spéciale assistée par IA.
«La machine fait des propositions, l’être humain contrôle et complète»
Peter Josi
Pour ce qui est de Zoug, un logiciel d’anonymisation est déjà déployé depuis fin 2019, grâce auquel le Tribunal administratif cantonal anonymise les quelque 330 arrêts destinés à être publiés chaque année. « Nous utilisons désormais toujours le logiciel, car il nous simplifie sensiblement le travail, » explique le secrétaire général Patrick Trütsch. Tout le monde a rapidement accepté de procéder ainsi, notamment parce que l’application accélère les étapes de la procédure. On est toutefois conscients que des erreurs sont possibles avec le logiciel, c’est pourquoi le principe des quatre yeux reste de mise : « C’est le greffier ou la greffière compétente qui se charge d’anonymiser l’arrêt à l’aide du logiciel, puis une autre personne contrôle encore la décision anonymisée. »
Protection des données, un défi
Au Tribunal fédéral également, le recours à l’IA pour l’anonymisation permet un gain de temps notoire. « La machine fait des propositions, l’être humain contrôle et complète », indique le chargé des médias Peter Josi. Et ce dernier d’ajouter que le défi principal à cet égard réside dans la protection des données. Pour « entraîner » l’intelligence artificielle, il aura fallu mettre à disposition quelque 110 000 arrêts du tribunal sous forme anonymisée et non anonymisée. « Compte tenu des données contenues dans les décisions nominatives, il est bien entendu impossible d’acquérir cette puissance de calcul à l’extérieur, par exemple chez Google ou Amazon. » L’entraînement de l’IA ne peut donc intégrer que le système informatique propre au tribunal.
Dans ce contexte, la question de la désanonymisation au moyen de l’IA fait l’objet de débats scientifiques. L’université de Berne collabore ainsi le Fonds national suisse un projet de recherche pour développer une plateforme en ligne qui permettrait aux tribunaux d’une part d’anonymiser leurs décisions et d’autre part d’évaluer le risque de réidentification des décisions anonymisées.
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