Communication externe au service de la justice
Mascha Santschi Kallay, en vos qualités de journaliste, d’avocate et de chargée d’information, vous avez sans doute une certaine expérience de la communication judiciaire.
Absolument. Lorsque j’étais journaliste, communiquer avec les autorités judiciaires me paraissait d’une complexité aberrante. Personne ne s’estimait jamais compétent. Les réponses ne venaient pas à temps et les quelques informations qu’on voulait bien nous livrer étaient souvent inutilisables journalistiquement parlant. Il est vrai que c’était il y a dix ans et que beaucoup de choses se sont améliorées depuis.
Et en qualité de chargée d’information des tribunaux lucernois ?
En accédant à cette fonction, je me suis rendue compte de la délicatesse de la tâche. J’ai compris que l’attitude critique des magistrats face aux médias était moins une marque d’arrogance que d’insécurité et de prudence face à un exercice qu’ils n’étaient pas sûrs de maîtriser. J’ai aussi été étonnée de voir le peu de documentation pratique qu’on trouvait pour soutenir le travail de communication des tribunaux. C’est là qu’est né le projet d’y consacrer ma thèse, en explorant le sujet dans une double perspective juridique et journalistique.
Reste la perspective de l’avocate…
En tant qu’avocate, je sais qu’on ne peut pas se contenter d’appréhender une affaire dans sa dimension juridique, qu’il faut s’intéresser aussi à sa dimension communicative. Lorsqu’un avocat prend en charge une affaire médiatisée sans rien connaître au travail médiatique, il agit par négligence. Certes, on ne peut pas corriger des lacunes juridiques en jouant la carte médiatique. On serait toutefois aussi en droit d’attendre des chroniqueurs judiciaires des connaissances plus approfondies du droit et des institutions étatiques. Il est parfois aberrant de constater avec quelle facilité ils relaient des informations partiales.
Les attentes des différents groupes d’intérêts sont-elles conciliables ?
Je suis convaincue que, dans la plupart des cas, il serait possible de trouver une solution raisonnable, susceptible de mettre tout le monde d’accord. Il me semble important - qui plus est pour un tribunal – d’exposer ses réflexions aux différents groupes d’intérêts avec transparence et de ne pas se contenter de rendre des décisions souveraines. Il y a bien sûr des situations dans lesquelles un tribunal doit se montrer ferme, notamment lorsqu’il y va de la protection des parties à la procédure.
Vous êtes aujourd’hui consultante en communication auprès de tribunaux. Pourriez-vous nous citer un modèle de communication externe dont pourraient s’inspirer les tribunaux ?
Tout dépend de la personne en charge. Tout en haut de la pyramide, vous avez la présidence, qui doit soutenir le responsable de la communication. Il ne faut pas non plus sous-estimer l’aspect présentation : une très grande partie de la communication est non-verbale et para-verbale. Pour dire les choses simplement, disons que d’autres tribunaux pourraient s’inspirer du dynamisme et de la représentativité de l’actuelle présidente du TAF.
«Pour les tribunaux, les médias traditionnels resteront toujours importants, car ils sont les meilleurs garants d’un travail d’information de qualité, constant et perspicace.»
Mascha Santschi Kallay
Pourquoi la communication externe d’un tribunal ne peut-elle pas se limiter aux arrêts rendus ?
Cela ne suffit malheureusement plus, car la justice est aujourd’hui beaucoup plus médiatisée - sinon instrumentalisée – qu’autrefois. Les parties hésitent moins à étaler leurs différends en public. Et elles ne sont pas tenues au secret de fonction ou d’enquête, sans compter qu’elles sont libres de n’informer que les journalistes bien disposés à leur égard. Ce qui peut conduire à une couverture biaisée des affaires. A l’inverse, lorsqu’un tribunal choisit de communiquer ou s’abstient délibérément de communiquer sur un sujet, la communication se met au service d’une information objective et équilibrée.
La litigation PR, c’est-à-dire la communication d’influence pratiquée par les parties à un litige, connaît un essor en Suisse comme ailleurs. Que signifie cette évolution pour les tribunaux ?
Un tribunal doit savoir que renoncer au dialogue avec les journalistes signifie pour lui de perdre le contrôle des flux d’informations relayés par les médias. S’il est saisi d’une affaire médiatisée et que paraît au même moment un article de fond sur le sujet, il devra là encore rester vigilant. La communication d’influence des parties ne se limite pas aux articles de presse et peut même s’étendre aux avis des lecteurs. Or, en pareille situation, il est très important que le juge ne se laisse guider que par ses propres convictions juridiques.
Quel peut être l’apport de la communication externe d’un tribunal et où sont ses limites ?
La communication externe d’un tribunal n’a pas vocation à corriger des lacunes juridiques. Il ne s’agit pas non plus d’en faire une mission prioritaire de la juridiction, mais elle doit rester une mesure d’accompagnement. Elle doit servir à concrétiser le principe de publicité de la justice (consacré par le droit constitutionnel comme par le droit international), à protéger les parties à la procédure et à renforcer la confiance du public dans la justice.
Dans votre thèse sur la communication externe des tribunaux, vous écrivez des médias qu’ils sont, de facto, le quatrième pouvoir d’un Etat et qu’il faut, à ce titre, les reconnaître comme un acteur qui compte dans la démocratie.
Je suis assez perplexe face à l’argument purement juridique selon lequel les médias ne pourraient pas être le quatrième pouvoir faute de prérogatives de puissance publique. C’est trop réducteur. Il arrive souvent que l’intervention des médias impose des changements réels ou des faits nouveaux et ce, parfois avant même la clôture de la procédure judiciaire. Leur capacité à toucher un large public donne de facto aux médias un pouvoir qui peut laisser des traces plus rapidement et plus durablement qu’une décision judiciaire.
Comment la communication externe d’un tribunal réagit-elle à la perte d’influence des médias traditionnels au profit des médias sociaux ?
Pour les tribunaux, les médias traditionnels resteront toujours importants, car ils sont les meilleurs garants d’un travail d’information de qualité, constant et perspicace. Ouvrir un compte twitter n’est pas forcément toujours utile compte tenu de la charge que cela implique, mais tous les tribunaux doivent garder un œil sur les médias sociaux, qui sont le terreau de nombreuses crises.
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