L’UE doit se débarrasser des vaches sacrées du système Dublin
Pour Constantin Hruschka, greffier auprès de la Cour IV, le système Dublin n’est pas révolu, mais il serait temps d’en rediscuter
les règles. Il voit notamment trois défauts: un manque d’équité, des problèmes d’exécution et une certaine prévalence de la politique intérieure dans chaque État membre de l’UE.
Constantin Hruschka, quels sont ces défauts concrètement ?
Appliqué à la lettre, le système Dublin débouche sur l’attribution d’un nombre disproportionné de demandeurs d’asile aux pays membres situés aux frontières extérieures de l’espace Schengen. Le système est ainsi inéquitable dans sa conception même. Il est aussi injuste envers les demandeurs d’asile en ce qu’il ne tient pas compte des préférences qu’ils pourraient avoir quant à leur Etat d’attribution. S’y ajoutent des problèmes de transfert, sachant que les Etats membres peinent souvent à obtenir l’exécution effective d’une décision de transfert exécutoire. Enfin, au niveau des différents États membres de l’UE, la migration est aussi un sujet qui suscite de fortes controverses de politique intérieure. Or ces controverses poussent les Etats à penser moins européen que national.
L’UE ne devrait-elle pas en finir avec le système Dublin ?
Cela ne serait pas réaliste politiquement. Il s’agirait plutôt de développer le mécanisme actuel. Mais cela supposerait de se débarrasser des vaches sacrées qu’a produit Dublin.
PARCOURS PERSONNEL
Constantin Hruschka, né en 1969, a rejoint la Cour IV du TAF en qualité de greffier en mai 2021, après avoir travaillé pendant trois ans et demi sur un projet de recherche de l’Institut Max-Planck à Munich. Ce projet s’intéressait à la crise migratoire qui avait frappé l’Europe et l’Allemagne durant l’été 2015. M. Hruschka siégeait alors au Comité des régions. Diplômé d’histoire, de philosophie et de droit des Universités de Würzburg, Potiers, Paris et Munich, il a d’abord enseigné le droit communautaire et le droit européen et international en matière d’asile dans différentes universités d’Allemagne et de Suisse, avant de travailler pour l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés et le HCR. Il est co-auteur d’un commentaire de la Convention relative au statut des réfugiés, paru en avril chez Nomos, Manz et Stämpfli.
De quelles vaches sacrées voulez-vous parler ?
Il faudrait, tout d’abord, renoncer au principe de l’Etat responsable. Cela signifierait que le demandeur d’asile ne relèverait plus de la responsabilité du premier État saisi, mais d’un Etat déterminé en fonction d’une clé de répartition prédéfinie à l’échelle européenne. La procédure administrative s’en trouverait considérablement allégée. Enfin, une troisième piste serait de tenir davantage compte de la volonté d’accueil de villes telles que Bâle, Berlin ou Cologne, parallèlement aux préférences exprimées par les demandeurs d’asile.
Les pistes que vous évoquez ne sont-elles pas un peu idéalistes, eu égard aux réformes (de sens contraire) qui ont été proposées par la Commission en 2016 et en 2020?
Ces propositions répondent à des problèmes concrets et pratiques, sur lesquels le Comité des régions s’est du reste penché. Ce comité réunit autour d’une même table des interlocuteurs tels que les maires de Palerme et de La Haye, mais aussi des juristes experts allemands, ce qui permet de chercher des solutions dans une perspective paneuropéenne.
L’ouverture de l’Europe: un accomplissement
De l’avis de M. Hruschka, les propositions de réforme qui sont aujourd’hui en discussion ont peu de chances d’aboutir. Il pense au contraire que nous resterons sur un statu quo pendant les quatre à cinq années à venir, avec tout au plus quelques corrections cosmétiques. D’où lui vient sa fascination pour l’Europe? La dynamique d’ouverture des frontières Schengen et la chute du mur de Berlin, nous dit-il : deux événements qui ont fortement marqué sa jeunesse. Tout comme l’expérience mémorable d’une visite familiale rendue à son grand-père en 1988, lequel travaillait alors à l’ONU à Genève et le souvenir d’être resté bloqué pendant des heures à la douane. Pour le greffier, l’ouverture de l’Europe demeure ainsi un accomplissement.
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