Des jugements par distributeur automatique
Le tapotement des machines à écrire, un vieux combiné posé sur la table à côté d’un journal tiré sur matrices de plomb : on deviendrait presque nostalgique en se replongeant trente ans en arrière... Rien alors, hormis peut-être le télécopieur, ne laissait présager des innovations technologiques qui allaient suivre.
Libérer des capacités pour des tâches de haute qualification
Leo Staub a démontré de manière saisissante que nous sommes à un nouveau tournant. S’exprimant lors d’une conférence au TAF, le professeur de la HSG a abordé le thème de la numérisation du marché juridique. Pour Leo Staub, il est prévisible que, pour les prestations de services juridiques également, les tâches répétitives diminueront et seront de plus en plus assumées par des machines. « Cette tendance affectera tout le monde sur le « marché du droit », tribunaux inclus ». Des capacités seraient ainsi libérées pour un travail juridique nécessitant de hautes qualifications. « C'est d’ailleurs pour cela que nous sommes payés, que ce soit par les mandants ou les contribuables. »
«Pourriez-vous imaginer acheter un jour des services juridiques à la Migros?»
Leo Staub
Des services juridiques au supermarché
Pour le professeur, il est clair que les études d'avocats subiront une très forte pression parce que les services juridiques des entreprises travaillent de manière beaucoup plus rentable. « Dans ces services, les nouvelles technologies contribuent à réduire les coûts. » S’y ajoute la pression exercée par les prestataires alternatifs de services juridiques. « Pourriez-vous imaginer acheter un jour des services juridiques à la Migros ? » Ce qui nous semble utopique est déjà réalité en Angleterre. Une chaîne de supermarchés propose, en effet, des conseils dans les domaines du droit de la famille, des successions, de la responsabilité civile et d’autres encore. On peut même établir une convention de divorce par distributeur interposé. « Et ce, avec une qualité parfaitement acceptable au plan juridique », souligne Leo Staub.
La concurrence en shorts et tongues ?
Les moteurs de cette évolution sont des pionniers de la « legal-tech », déambulant en shorts et tongues, qui secouent l’ensemble du marché du droit à coup d’automatisation. « La numérisation a le potentiel d’ébranler ce marché comme elle l’a déjà fait pour l'imprimerie, secteur qui est très vite passé de l’impression sur matrices en plomb à un processus entièrement numérisé ».
Serait-il concevable aujourd'hui déjà qu'un ordinateur « crache » un jugement préalablement rédigé pour un recours en matière d'asile ? Pour Leo Staub, cela ne fait aucun doute. « Et dans un proche avenir, des machines seront capables de produire un projet de jugement structuré à partir de données chaotiques ».
Leo Staub nous a néanmoins rassurés en ajoutant que la numérisation n’allait pas menacer notre travail pour autant. Les ordinateurs peuvent peut-être générer des projets, mais en fin de compte, le jugement doit toujours être rendu par un être humain. Cependant, le travail va évoluer pour se concentrer sur des prestations juridiques de haut niveau, loin des tâches répétitives qui peuvent être automatisées. « Nous avons vu des choses semblables avec l'avènement du courrier électronique, qui n'a pas supprimé le travail mais l'a transformé. »
« Les tribunaux ne sont coupés du monde »
Pour le professeur de HES, il serait naïf de penser que rien ne changera autour de nous. Les tribunaux n’échappent-ils pas à cette logique? Et Staub de rétorquer : « Ils ne sont pas coupés du monde, mais en étroite interaction avec les parties et les différents prestataires de services juridiques - autorités, instances inférieures, représentants des parties, etc. ». Ce constat se vérifie aussi dans la perspective de l’employeur. « Pour de jeunes talents, les possibilités liées à la numérisation vont de soi. Il n'est guère intéressant pour eux de travailler dans un environnement qui resterait figé ».
Quand la machine dépasse l’homme
Un membre de l’assistance a voulu savoir ce qu'il adviendrait après la numérisation. « Je n'en ai aucune idée », a admis Leo Staub. « Si nous ne sommes plus en état de comprendre comment des machines obtiennent des résultats par la modification et l’utilisation de leurs propres algorithmes, alors cela pourrait déboucher sur une supériorité de l'intelligence artificielle ». Voilà pourquoi même les patrons de grandes entreprises technologiques telles que Microsoft ou Tesla exigent que le marché de l'intelligence artificielle soit réglementé. « À défaut, nous risquons de ne pas savoir où tout cela nous mènera. »
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