Préserver l’indépendance de la justice

L’initiative sur la justice veut changer le mode de désignation des juges fédéraux. Pour Daniela Thurnherr, le problème réside plutôt dans la nécessité de réélire les juges et dans l’appartenance politique posée comme condition d’éligibilité à la fonction de juge.

24.06.2020 - Katharina Zürcher

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Image de la déesse Justitia
Photo: iStock

Professeure de droit à l’Université de Bâle, Daniela Thurnherr estime qu’on ne gagnerait rien à désigner les juges par tirage au sort, comme le préconise l’initiative populaire sur la justice aboutie en septembre 2019. Elle souligne, au contraire, que l’élection par un parlement fédéral démocratiquement légitimé renforce en même temps la légitimité des juges. Et, partant, que la représentativité recherchée donne une large assise politique et sociale à l’activité de développement du droit par les tribunaux. La professeure constate ensuite que la Commission judiciaire du Parlement observe une procédure de mise au concours transparente, dont l’efficacité n’est plus à prouver : « La Confédération a, sur ce point, une longueur d’avance sur certains cantons qui connaissent une procédure – peu transparente – de présélection des candidats ou une élection des juges par le peuple, et où les candidats sont parfois contraints de mener une réelle campagne électorale. » Ce qui lui semble plus problématique, c’est la nécessité de réélire les juges après six ans.

«Quand les partis font pression pour imposer une certaine ligne politique dans les décisions, c’est l’indépendance de la justice qui est en péril.»

Daniela Thurnherr

Pour éviter cet écueil, l’initiative sur la justice prévoit un mandat unique de douze ans. Mais Daniela Thurnherr reste, là aussi, sceptique : « Pour les jeunes juristes, la fonction de juge risque de perdre de l’attrait s’ils savent qu’ils devront se réorienter vers une autre profession juridique par la suite. »

Élu pour une durée indéterminée

Elle trouve préférable la formule retenue par le canton de Fribourg, où les juges sont élus pour une durée indéterminée mais avec une possibilité de révocation dans les cas prévus par la loi. Elle rappelle par ailleurs les critiques que suscite à l’étranger le système suisse de financement des partis, notamment les contributions prélevées sur le traitement des élus. « Certes, au niveau fédéral – comme cantonal, que je sache – la réélection d’un juge n’a jamais été subordonnée au versement de telles contributions », poursuit-elle. « Mais le seul soupçon qu’il puisse l’être nuit à l’image et à l’indépendance de la justice. »

Dans la perspective des partis, qui jouent un rôle clé dans le système politique suisse et qui ont bien sûr besoin de ressources financières à ce titre, le statu quo apparaît souhaitable. Un changement de système reposerait aussi la question d’un financement public des partis. Il en irait de même si l’éligibilité des juges n’était plus conditionnée à une appartenance politique. Pour Daniela Thurnherr, ce serait là une avancée souhaitable, qui aurait le mérite d’élargir la base de recrutement des juges, tout en replaçant la question de l’aptitude à l’exercice de la fonction de juge au cœur des préoccupations.

Une restriction inutile

Quant à l’exigence d’indépendance par rapport à des autorités ou des organisations politiques que veut imposer le comité d’initiative, la professeure de droit estime qu’elle restreindrait inutilement le vivier de candidats potentiels à un poste de juge. Sans compter qu’elle rendrait (sans doute) impossible l’élection – selon une représentation proportionnelle délibérément voulue de la force des partis – au Tribunal fédéral de juges d’instances inférieures. « Ceci serait lourd de conséquences sur le parcours professionnel et le recrutement des juges, sachant qu’une grande partie des juges fédéraux en exercice ont d’abord été juges auprès d’une instance inférieure. »

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