«Une bonne décision est une décision compréhensible»

Pour François Paychère, président de la Cour des comptes de Genève, on ne peut aborder la notion de qualité d’une décision indépendamment de celle de la justice, elle-même à considérer comme un processus.

01.09.2020 - Alyssia Talon

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Portrait François Paychère
François Paychère, président de la Cour des comptes de Genève, en interview avec le TAF. Photo: Lea Kloos

François Paychère, vous avez déjà occupé de nombreuses fonctions judiciaires, à quoi reconnait-on un bon arrêt ?

Prenons un contre-exemple : Une décision de la Cour de cassation française ; une décision certes brève mais incompréhensible, car rédigée sur le principe de la phrase unique. L’art pour les tiers est d’écrire un commentaire plus long que l’arrêt pour expliquer ce dernier, même à des professionnels ! A l’autre bout du spectre, dans un style plus « germanique », les arrêts de certaines cours suprêmes peuvent atteindre 100 pages. Dans un cas comme dans l’autre, nous retrouvons dans ces deux styles pourtant très différents l’idée sous-jacente qu’une et une seule solution était possible et que le raisonnement judiciaire est autonome par rapport à d’autres formes de raisonnement, comme si l’école nord-américaine du legal formalism pouvait encore convaincre alors que les tenants du legal realism nous ont appris que le discours du juge reflétait celui de son temps.

Vous avez présidé un groupe de travail « qualité » de la Commission européenne pour l'efficacité de la justice du Conseil de l'Europe (CEPEJ) de 2008 à 2017. Comment définir la qualité d’un arrêt ?

Il est très difficile de définir la qualité d’une décision de justice. Si l’on part des enquêtes de satisfaction et que l’on se met du côté des usagers, je dirais qu’une décision de qualité est une décision compréhensible, dans laquelle le juge assume sa position consistant à créer un fait social nouveau en disant le droit. Les justiciables sont intéressés par le caractère compréhensible de la décision, mais aussi du processus qui la précède. La notion de qualité ne s’évalue pas seulement à la fin du processus mais tout au long de celui-et il y a un lien entre l’accessibilité et l’acceptabilité de la décision. Si la participation au processus judiciaire est possible, alors l’acceptation sera meilleure. Si la procédure est centrée sur l’avocat au détriment des parties, l’incompréhension sera plus grande.

« La notion de qualité ne s’évalue pas seulement à la fin du processus mais tout au long de celui.»

François Paychère

Lorsque j’ai commencé à travailler pour le Conseil de l’Europe, nous étions trop concentrés sur la rapidité de la procédure, peut-être sous l’influence des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme. Nous pensions alors que cette dimension concourrait principalement à la qualité de la justice. A posteriori, je pense que ce n’est pas le cas et que c’est la notion d’acceptabilité qui est fondamentale. D’un point de vue non technique, cela représente le caractère principal d’une décision de justice : une bonne décision est une décision compréhensible. La qualité ne se décrète pas, elle se vit concrètement dans le rapport avec les justiciables.

Quelle relation existe entre l’efficacité et la qualité ?

L’efficacité est une composante de la qualité. Aux yeux du public, c’est une composante importante du processus mais ce ne reste qu’une de ses composantes. Il ressort de nos études que le fait de voir son juge, de comprendre la procédure et la rapidité de cette dernière étaient des éléments constitutifs de la notion de qualité, qui ne doit pas être considérée séparément. Elle constitue plutôt le concept à partir duquel les autres dimensions de la justice s’ordonnent.

Quelles sont les pistes d’amélioration ?

Il faut améliorer la compréhension du processus judiciaire. L’audience doit être rendue lisible avec des mécanismes simples comme la mise en place de chevalets annonçant les fonctions des différents acteurs du procès. Le fait de définir les rôles a un caractère symbolique fort et rend l’audience plus lisible pour les parties.

«Je prône un retour à des arrêts plus courts dans lesquels la décision prise est assumée.»

François Paychère

Il faut également sortir de cette idée que le juge se cantonne à appliquer la loi, qu’’il n’en est que l’énonciateur. Cela ne fait pas de sens. Le juge se cache de plus en plus derrière ce qu’il voudrait faire passer pour une conséquence du syllogisme juridique. Comme si ce qu’il écrit est la seule conséquence du droit et de la jurisprudence. Or, à chaque décision, le droit est créé. Cette dimension trop souvent éludée et je le déplore. Je prône un retour à des arrêts plus courts dans lesquels la décision prise est assumée.

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